Hydroxychloroquine et rétractation d'une étude de Didier Raoult: l'art apparemment impossible du journalisme "scientifique"
La couverture un poil hystérique de la rétractation d'une étude de l'équipe de Didier Raoult révèle une fois de plus les limites des médias traditionnels. Retour sur un gâchis qui dure depuis 2020.
On me signale que ce billet est peut-être trop long pour l’email… Si c’est le cas pour vous, et qu’il est tronqué, venez le lire en entier sur resilients.news ! Ces articles me prennent un temps fou, tout encouragement sous forme de commentaire, de like ou d’abonnement m’enchantera…
Merci aux médias alternatifs, et en particulier à France-Soir, pour leur précieux travail tout au long de la saga sur laquelle je vais revenir dans ce billet.
Qu’est-ce qui est rétracté et pourquoi ?
Une étude de l’équipe de l’IHU de Didier Raoult vient donc d’être rétractée. Il s’agit de sa toute première étude sur l'hydroxychloroquine et le Covid, publiée en 2020. C’était un essai clinique non-randomisé, sur un petit effectif, qui avait conclu à une efficacité de l’hydroxychloroquine, surtout en combinaison avec l’azythromycine, sur la charge virale des patients Covid-19.
Les raisons avancées pour cette rétractation ? L’éditeur reproche entre autres aux auteurs un flou dans les dates du début du recrutement des patients, il conteste que l’azythromycine ait pu constituer un traitement standard (ce qui a des implications administratives liées au consentement éclairé), et il relève des imprécisions dans la description des protocoles utilisés pour les tests PCR dans l’étude. Tout en prenant au sérieux ces différentes raisons, on notera que ce n’est pas pour rien qu’il a fallu 4 ans pour obtenir cette rétractation: les points soulevés sont techniques, et il aura fallu beaucoup de temps pour que l’éditeur les évalue avant de prendre sa décision; (certains sont très contestables, et vous trouverez une présentation critique de cette décision dans cet article).
Il s’agissait, dès le départ, d’une étude à la portée limitée. Sans randomisation, portant sur un tout petit effectif, elle n’avait rien d’impressionnant sur le plan méthodologique. Si elle a marqué les esprits, c’est en raison du contexte particulier de ce printemps 2020, marqué par l’urgence pandémique. Sa publication avait révélé l’intérêt potentiel de l’hydroxychloroquine aux médecins et chercheurs, contribuant à susciter à sa suite la conduite de nombreuses autres études. Selon un site qui les recense de façon systématique, on dénombre aujourd’hui plus de 400 études consacrées à la question de l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19.
Parmi ces études, on en trouve qui sont favorables à la thèse de l’efficacité de cette molécule en traitement ou en prévention, et d’autres qui lui sont défavorables. Leur qualité méthodologique est variable, mais on trouve un bon nombre d’essais contrôlés randomisés, méthodologiquement plus robustes (61, nous précise le même site). Parmi les études non-randomisées, certaines sont aussi de bien meilleure facture que l’étude rétractée, proposant un grand effectif et des subtilités méthodologiques qui contribuent à augmenter la fiabilité de leurs résultats.
Cette étude a une importance historique incontestable, mais si l’on voulait, aujourd’hui, se poser la question de l’efficacité, ou de l’inefficacité, de l’hydroxychloroquine, c’est évidemment sur le très grand nombre d’études publiées depuis qu’il faudrait se pencher. En 2020, cette petite étude de l’équipe de l’IHU de Raoult constituait avant tout un signal favorable, et les auteurs concluaient en disant en substance: “le produit nous semble être efficace, il est sûr, on n’a rien d’autre: nous vous recommandons de l’utiliser”. Ils disaient aussi: “notre étude souffre de plusieurs limitations, alors faites-en d’autres qui soient meilleures” (ce qu’ils chercheront également à faire de leur côté par la suite, notamment en reproduisant le résultat obtenu sur la charge virale dans une autre étude).
En somme, s’il est vrai que la publication de cette étude ne suffisait pas à démontrer l’efficacité de l’hydroxychloroquine en 2020, il est tout aussi vrai que sa rétractation aujourd’hui n’en prouve pas non plus l’inefficacité. Dans une masse de 400 études, dont une soixantaine d’essais contrôlés randomisés, sa présence ou son absence ne change, aujourd’hui, pas grand chose.
Cela étant posé, allons voir ce que la presse traditionnelle nous en raconte.
Mais avant toute chose, n’oubliez pas de vous abonner ci-dessous, j’ai plein de choses à vous raconter encore (dont certaines n’auront aucun rapport avec le Covid, je le jure):
Le Point, une efflorescence d’hyperboles
Commençons avec Le Point, qui nous apprend qu’il s’agit du “coup de grâce” pour Didier Raoult dont l’étude “phare” est retirée. Le journal enfonce le clou:
“le mythe de son remède miracle s’effondre officiellement”.
Plus grave encore, peut-être, que cet “effondrement officiel”, selon le journal, qui rapporte les propos du professeur Mathieu Molimard:
“Ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers de morts de par le monde que l'on doit à la folie hydroxychloroquine”.
Que d’hyperboles. Il n’y a pas “d’effondrement de mythe”, et la rétractation de cette étude n’est pas “un coup de grâce”, précisément parce que, comme expliqué plus haut, elle n’était pas une ’étude “phare” du tout. Si on lui posait la question, Didier Raoult accorderait sans doute plus volontiers le qualificatif de “phare” à l’étude de cohorte rétrospective portant sur 30’000 participants que son équipe a publiée depuis, qui concluait elle-aussi à l’efficacité de la combinaison hydroxychloroquine et azythromycine.
Sur la question des “morts” évoquée par Mathieu Molimard, nous reviendrons plus tard, notamment quand nous évoquerons les “17’000 morts” attribués à l’usage de l’hydroxychloroquine. Mais je vous préviens déjà: le professeur Molimard dit (il est coutumier du fait) n’importe quoi.
Le Temps, péremptoire mais faux
Passons maintenant au journal suisse Le Temps, qui, plutôt que de parler d’étude phare, évoque sobrement “l’étude”, comme s’il n’en avait existé qu’une seule sur ce sujet, ce qui continue d’exagérer son importance. Et si Le Temps se montre moins porté sur l’hyperbole, son rapport au factuel n’est pas tellement moins oblique que celui du Point. Ainsi, on lit par exemple (les italiques sont de moi):
“Des études scientifiques ont plus tard toutes démontré l’inefficacité de l’hydroxychloroquine contre le Covid, dont l’usage a parfois été associé à de graves effets indésirables, notamment cardiovasculaires.”
Si l’hydroxychloroquine a beaucoup fait parler d’elle pendant plusieurs années, c’est précisément parce que les études sont loin d’être unanimes, et une majorité d’entre elles sont favorables à l’hydroxychloroquine. Ce que les critiques du traitement proposé par Raoult soulignent, ce n’est en réalité pas que toutes les études démontrent l’inefficacité de l’hydroxychloroquine, c’est plutôt que celles dont ils estiment qu’elles sont les plus fiables ne montrent pas d’efficacité, ce qui, on le verra, se discute, mais reste, en tout état de cause, différent de ce qu’affirme ici Le Temps.
S’agissant des effets indésirables cardio-vasculaires, l’hydroxychloroquine, prise à des doses usuelles par des personnes sans facteur de risque, est un médicament sûr. L’équipe de Raoult n’a observé aucun problème cardiaque grave parmi des milliers de patients traités, ce qui est corroboré par d’autres sources, notamment une revue systématique Cochrane qui souligne qu’il n’y a aucun signal significatif d’une augmentation des effets indésirables graves. Un tout récent article vient encore de confirmer l’absence de risque cardio-vasculaire.
Tout comme Le Point, Le Temps ne parvient pas à porter un regard objectif sur cette rétractation. C’est un problème qui concerne la quasi-totalité des médias traditionnels. Depuis 2020, il existe un filtre qui conduit à accorder une attention frénétique aux études défavorables à l’hydroxychloroquine, à l’exclusion de celles dont les résultats seraient favorables ou même nuancés.
Des exemples ?
Le Lancetgate, une étude frauduleuse qui fait les gros titres
En mai 2020, The Lancet, l’une des meilleures revues médicales au monde, publie une étude sur l’hydroxychloroquine. En plus de n’avoir aucun effet bénéfique sur les patients atteints de COVID-19, elle aggraverait leur risque de décès et de troubles cardiaques. Ce verdict entraîne des décisions drastiques immédiates : l’OMS suspend les essais cliniques en cours sur ce traitement, et plusieurs pays en interdisent l’usage.
Cependant, des doutes surgissent rapidement. Les données de l’étude proviennent d’une société méconnue, Surgisphere, dirigée par le Dr Sapan Desai. Cette entreprise, qui prétend avoir collecté des informations médicales sur des dizaines de milliers de patients à travers le monde, résiste à toute tentative de vérification. Les incohérences éclatent au grand jour : des hôpitaux mentionnés comme sources de données nient toute collaboration, et les chiffres avancés semblent défier la réalité logistique de leur collecte.
Sous la pression croissante d’une communauté scientifique indignée, The Lancet finit par rétracter l’article en juin 2020, admettant son incapacité à vérifier les données fournies. Alors que les médias du monde entier avaient immédiatement repris l’information et lui avaient consacré une large place, il avait fallu quelques jours à peine pour que les réseaux sociaux (twitter, pour l’essentiel) découvrent la supercherie: tout sonnait faux. La dangerosité de l’hydroxychloroquine constatée contredisait complètement la littérature existante, et les données hospitalières ne correspondaient à aucune réalité plausible.
Encore aujourd’hui, il est difficile de comprendre pour quelle raison The Lancet a accepté de publier un travail aussi douteux. Et les conséquences, notamment au travers de l’arrêt brutal de plusieurs essais cliniques sur décision expresse de l’OMS, auront beaucoup compliqué la poursuite de la recherche sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine.
Recovery, des doses massives pour des patients hospitalisés (Libération est conquis)
Depuis que Didier Raoult avait popularisé son protocole, d’autres médecins ailleurs dans le monde avaient commencé à soigner eux-aussi le Covid-19 avec un protocole similaire. Le protocole exact pouvait varier. Un médecin américain, le Dr Zev Zelenko, avait par exemple ajouté du zinc et utilisé une dose d’hydroxychloquine légèrement plus faible. Tous, toutefois, suivaient dans les grandes lignes les principes du protocole de l’IHU: des doses standards (déjà utilisées pour d’autres pathologies sur une longue durée) d’hydroxychloroquine, combinées à de l’azythromycine, toutes deux prescrites aussi rapidement que possible après l’infection (on parlait de traitement “précoce”) à des patients en ambulatoire pour éviter une aggravation des symptômes et une hospitalisation.
Il était donc étonnant de constater que les plus importants essais financés par des fonds publics, Recovery, Solidarity, et Discovery, aient choisi d’appliquer des protocoles très éloignés de ce que Raoult et les autres cliniciens utilisaient pour leurs patients. Prenons Recovery, puisque c’est le premier essai qui aura donné lieu à une publication après la décision d’interrompre les essais cliniques (prise suite à la publication de la frauduleuse étude du Lancet).
En présentant les résultats de l’essai Recovery, Libération nous apprenait tout de go que “la chloroquine, ça ne marche pas”. Le ton était très assuré:
Vendredi, les responsables de l'essai clinique britannique Recovery ont annoncé que l'hydroxychloroquine ne montrait pas «d'effet bénéfique pour les malades du Covid-19» et qu'ils suspendaient «immédiatement» l'inclusion de nouveaux patients pour ce traitement. «Il ne s'agit pas d'un traitement contre le Covid-19. Ça ne marche pas», a déclaré sans ambiguïté le professeur Martin Landray, de l'université d'Oxford, codirigeant de l'essai. «Ce résultat devrait changer les pratiques médicales dans le monde entier. Nous pouvons désormais cesser d'utiliser un traitement qui se révèle inutile», a-t-il ajouté.
Voilà qui a le mérite d’être clair. Il y a pourtant un problème. On rappelle le protocole utilisé à l’IHU et ailleurs pour soigner le Covid-19: donner le plus tôt possible après l’infection, des doses standard d’hydroxychloroquine, associées à de l’azythromycine.
Que va faire l’essai Recovery ? Donner, jusqu’à 14 jours après le début des symptômes, une dose extrêmement élevée d’hydroxychloroquine (2400 mg en 24h, une dose supérieure au seuil de toxicité), seule, sans azythromycine, le tout à des patients hospitalisés! Cela avait bien fait réagir quelques scientifiques qui s’étaient fendu d’un courrier à la revue, mais la presse traditionnelle avait sauté sans beaucoup de subtilité sur cette occasion d’enterrer définitivement l’hydroxychloroquine médiatiquement, à défaut de le faire scientifiquement.
Quiconque a déjà eu le Covid-19 sait qu’après deux semaines, on est ou bien tiré d’affaire, ou bien trop mal en point pour qu’un traitement antiviral puisse encore nous aider beaucoup, a fortiori si on est hospitalisé. Ce que cet essai révélait, c’était que de donner des doses potentiellement dangereuses d’un supposé antiviral jusqu’à deux semaines après le début des symptômes à des patients hospitalisés ne leur faisait pas grand bien. Tout ceci n’avait rien d’un scoop, mais cela semblait échapper à Libération et à la plupart des autres médias traditionnels, engagés dans une vendetta journalistique contre “le Druide de Marseille”, le professeur Didier Raoult.
Le pire était pourtant encore à venir.
17’000 morts causés par l’hydroxychloroquine? La RTS s’en alarme.
En janvier 2024, de nombreux médias, dont la RTS en Suisse, annoncent qu’il existe désormais un bilan chiffré des morts causés par la prescription d’hydroxychloroquine pendant la crise du Covid.
Une étude confirme que l'hydroxychloroquine, présentée parfois comme un remède miracle contre le Covid-19, n'en était pas un. La recherche associe la mort d'au moins 17'000 personnes à ce médicament en Belgique, en France, en Italie, en Espagne, en Turquie et aux Etats-Unis.
Las, “le miracle n’en était pas un”. L’étude le “confirme”. 17’000 morts “imputés” à l’hydroxychloroquine selon Mediapart, qui relève qu’il s’agit d’une estimation “a minima”.
L’hydroxychloroquine n’avait été, jusqu’à présent, présentée que comme inefficace par les médias. On passe maintenant à la vitesse supérieure: elle aurait tué des dizaines de milliers de personnes. Comment les auteurs de l’étude en question sont-ils arrivés à cette conclusion, et à ce chiffre ?
Les auteurs ont appliqué, pour faire simple, une règle de trois. Ils ont pris un taux (11%) de surmortalité imputable à l’hydroxychloroquine dans une population de malades du Covid, qu’ils ont extrait d’une autre étude, une méta-analyse, et l’ont appliqué à l’ensemble des personnes auxquelles on avait prescrit de l’hydroxychloroquine dans une série de pays.
Résultat: 17’000 morts.
CQFD.
Evidemment, pour que ce chiffre soit vrai, il faut que le chiffre de 11% soit correct, et il faut aussi qu’il soit applicable à tous les patients traités avec l’hydroxychloroquine pris en compte dans l’étude. C’est là qu’il y a un problème. En effet, dans la méta-analyse prise comme référence pour arriver à ce chiffre de 11%, deux essais cliniques, dont le fameux Recovery, justement, pèsent très lourdement en raison du grand nombre de patients inclus. Pour que ce 11% soit représentatif, il faudrait donc que les protocoles de soin utilisés par ces deux études soient les mêmes que ceux que l’équipe du professeur Raoult et les autres médecins avaient utilisé.
Or, nous savons que ces deux essais, comme nous l’avons expliqué plus haut en prenant Recovery comme exemple, utilisaient des doses très élevées d’hydroxychloroquine, dans des conditions qui n’avaient rien à voir avec l’usage courant. Ils n’étaient pas représentatifs du tout. Quel aurait été le résultat de la même analyse si on avait pris comme référence uniquement les essais utilisant une dose normale, donc représentatifs de la manière dont l’hydroxychloroquine avait été utilisée par l’immense majorité des médecins ?
On le sait, puisqu’une équipe de chercheurs s’est soumise à l’exercice. Leur conclusion ?
"Seules les doses élevées d'HCQ (hydroxychloroquine) sont associées à une augmentation significative de la mortalité. L'application d'un excès de mortalité dans la population traitée avec des doses pour lesquelles aucune augmentation de la mortalité n'est constatée crée une surestimation trompeuse des décès associés à l'utilisation de l'HCQ chez les patients hospitalisés atteints de COVID-19."
Comme le relèvent les auteurs d’une critique cinglante,
“Un modèle défectueux de par sa conception a produit des résultats qui peuvent être considérés comme une pure fabrication.”
En d’autres termes, les 17’000 morts étaient basés sur du vent. L’étude ne valait rien. C’était une farce méthodologique. Une farce qui, a, d’ailleurs, été rétractée depuis. Mais c’est une rétractation dont on aura bien peu entendu parler dans les médias traditionnels (notamment en France) alors que sa parution, elle, avait fait grand bruit.
Ce que les médias traditionnels ont oublié de rapporter: l’exemple de COPCOV
Je comprends bien qu’on pourrait m’objecter que la seule erreur des médias traditionnels aura été, finalement, de “faire confiance à la science”. Peut-on leur reprocher de ne pas avoir les compétences nécessaires pour réaliser que les résultats d’une étude sont suspects ?
Non, bien sûr. Mais on pourrait au moins s’attendre à ce que les résultats soient rapportés tels quels, sans hyperbole ni exagérations. Ce qui aura été très loin d’être le cas. Par ailleurs, faire de la publicité à des études biaisées n’est qu’une moitié du problème. L’autre moitié consiste à ne pas évoquer des études dont les résultats ne vont pas dans le sens désiré. Prenons un exemple: avez-vous entendu parler de l’essai clinique appelé COPCOV ? Non, sans doute, et une recherche Google sommaire montre que seuls des sites spécialisés ont évoqué cet essai.
Il ne manque pourtant pas d’intérêt. Portant sur plus de 4’500 soignants, cet essai contrôlé randomisé en double-aveugle d’excellente facture cherchait à évaluer l’efficacité de l’hydroxychloroquine prise en prévention. Le résultat ? Sur l’ensemble des essais contrôlés randomisés disponibles, celui-ci compris, la prise préventive d’hydroxychloroquine permet une réduction significative de 20% du risque d’infection symptomatique.
Sans surprise, aucun groupe de chercheurs créatifs ne s’est intéressé à utiliser une règle de trois pour calculer combien de vies auraient pu être sauvées de cette manière, et aucun média traditionnel n’en a parlé.
Que conclure sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine ?
On voit qu’il existe de bons arguments en faveur d’une efficacité de l’hydroxychloroquine en prévention. Mais qu’en est-il, finalement, de l’hydroxychloroquine prise en traitement, qu’en est-il de l’efficacité de ce fameux protocole dont le “mythe” se serait “effondré” avec cette rétractation ?
C’est difficile d’y voir clair. C’est un fait: les grands essais contrôlés randomisés comme Recovery constituent les données de meilleure qualité sur le plan méthodologique. Toutefois, parce qu’ils n’ont pas utilisé les mêmes doses, ni ciblé la même population, ni ajouté d’azythromycine et, qu’ils ont de plus été interrompus avant terme, ils ne permettent pas une évaluation de l’efficacité du protocole proposé par l’équipe de Didier Raoult dans cette fameuse étude “fondatrice”. Et aucun autre grand essai comparable et plus représentatif n’a été conduit par la suite.
L’essai Hycovid, l’un des rares essais qui utilisait des doses normales d’hydroxychloroquine, observait certes une mortalité à 28 jours deux fois plus basse dans le groupe traité avec l’hydroxychloroquine. Mais il a été interrompu très tôt, trop tôt pour que le résultat soit significatif en raison du faible nombre de participants inclus.
Et en ce qui concerne les études ultérieures de l’IHU, leur étude de cohorte rétrospective n’est certes pas un essai contrôlé randomisé, mais on y observe une efficacité important sur la mortalité même après avoir pris en compte sexe, âge, période, prise en charge du patient, statut vaccinal et comorbidités. Quant aux résultats de “l’étude phare” rétractée, ils ont été reproduits depuis: l’effet sur la charge virale de la combinaison hydroxychloroquine / azythromycine se voit donc confirmé, ce que seul un média alternatif a pris le temps de rappeler.
Finalement, si on se focalise sur les essais les plus pertinents, ceux à dose modérée, et qu’on les regroupe, on observe une efficacité significative. Mais les sceptiques auront beau jeu de répliquer que des résultats de méta-analyses publiées sur des réseaux sociaux ne sont pas des sources d’information valables.
Bref. L’ensemble laisse une impression d’énorme gâchis. Il eût été à la fois facile et logique de mettre en place dès le départ des essais cliniques sur le modèle de ce que les cliniciens utilisaient, en traitement précoce, plutôt que de surdoser des patients déjà hospitalisés, pour lesquels un antiviral n’était plus la priorité. Il aurait aussi été facile de poursuivre ces essais jusqu’à leur terme, plutôt que de se saisir du prétexte de l’étude invraisemblable du Lancet pour les interrompre prématurément (coucou, OMS).
La malédiction des traitements repositionnés
Il est difficile de ne pas y voir une forme de mauvaise volonté délibérée. A ceux qui trouvent cette idée est peu trop conspirationniste à leur goût, je soumets l’exemple suivant, particulièrement parlant, qui concerne l’ivermectine, autre molécule repositionnée, donc ne rapportant, elle non plus, rien à l’industrie pharmaceutique.
Avant de jeter un regard au tableau comparatif ci-dessous, rappelez-vous que pour un médicament dont on attend un effet antiviral, plus on le donnera tôt, plus il sera efficace. Après une semaine, la phase virale sera souvent terminée, et un antiviral n’aura plus guère de pertinence ni d’effet. Ainsi, si un chercheur veut montrer qu’un antiviral est efficace, il va définir un protocole dans lequel il est donné très rapidement après le début des symptômes. Et s’il veut montrer qu’il n’est pas efficace, hé bien… il fera le contraire.
Que remarquez-vous ?
Il s’agit de la présentation de deux essais menés, et c’est le point crucial, par le même chercheur, Chris Butler, sur deux molécules dont il veut mesurer l’effet antiviral. L’une, le Molnupiravir, est sous brevet, et va rapporter de l’argent à son fabricant, Merck. L’autre, l’ivermectine, est un générique qui ne va pas rapporter grand chose à qui que ce soit.
Pour le Molnupiravir, le traitement doit impérativement être commencé (“delay”) au plus tard 5 jours après le début des symptômes. Pour l’ivermectine, le délai est généreusement allongé jusqu’à … 14 jours après le début des symptômes, soit bien après qu’un traitement antiviral soit encore pertinent. Ce chiffre de 14 jours devrait d’ailleurs vous rappeler quelque chose, puisque c’est aussi le délai qui avait été choisi pour l’essai Recovery! (Et si votre curiosité est piquée, prenez le temps de regarder les autres parties du tableau ci-dessus marquées en rouge et vert, vous ne le regretterez pas.)
Ivermectine ou hydroxychloroquine, même combat, donc. Je n’ai, par contre, trouvé que peu d’antiviraux sous brevet pour lesquels un essai clinique prévoyait un délai supérieur à 5 jours (c’était même parfois 3). Il y a donc eu, dès le départ, une intention de favoriser les traitements sous brevet au détriment des autres.
Dans la perspective de l’industrie pharmaceutique et des chercheurs sujets aux conflits d’intérêt, cela se comprend.
Il est plus difficile de comprendre pourquoi des médias autrefois très critiques de l’industrie pharmaceutique se sont retrouvés dans une situation où ils se sont faits, au nom de la “science”, les zélés défenseurs de la cause pharmaceutique, critiquant sans mesure tous ceux qui défendaient la pertinence des médicaments génériques, Raoult en tête.
Ces attaques par presse interposée ont soutenu, et donné de la légitimité, à ce qu’il est juste d’appeler la persécution des médecins qui ont eu le courage de prescrire des traitements repositionnés comme l’hydroxychloroquine ou l’ivermectine. L’efficacité de ces molécules était soutenue par des données cliniques certes imparfaites, mais le rapport risque / bénéfice était excellent, bien meilleur que celui du paracétamol, qu’on encourageait les médecins à prescrire sans aucune base scientifique, alors que cette molécule augmentait probablement les risques liés au Covid (encore un détail dont la presse ne vous aura pas parlé).
Une pensée pour ces médecins, dont beaucoup auront perdu, au mieux leur poste, au pire leur droit d’exercice de la médecine. Vous trouverez un récit de certaines des absurdités administratives dont ils auront été la cible dans cet extraordinaire extrait de mon entretien avec le Dr Arturo Perez:
A mes yeux, et pour conclure, plutôt que le “mythe d’un traitement miracle”, c’est donc plutôt le mythe d’une presse fiable et indépendante qui n’en finit pas de s’effondrer.
Merci de m’avoir lu, passez de bonnes Fêtes et prenez soin de vous.
Et… je promets que mon prochain billet de parlera pas, de près ou de loin, de Covid.
Oui, même moi, je me lasse.
PS: en bonus, voici comment la RTS a annoncé cette nouvelle dans son journal télévisé. Vous apprécierez sans doute autant que moi la qualité du journalisme scientifique pratiqué.
Excellent article passionnant et plaisant à lire ! Merci !
Merci pour cet excellent article . Je suis aussi l histoire du Pr Raoul depuis le début et il semblerait qu’il n’y ait pas de fin aux attaques tout à fait injustifiées qu il subit merci encore de cette clarification précise et compréhensible de tous.
Anita